Un article scientifique1, publié récemment dans la revue Agriculture, Ecosystems & Environment a fait beaucoup parler. L’article en question affirme, dès son titre, la chose suivante : L’agriculture biologique impacte positivement la vitalité des passereaux en zone agricole. Cette affirmation semble avoir déplu à beaucoup, et les critiques (et insultes) se sont multipliées2.
Ces critiques sont-elles justifiées ? Nous avons listé si dessous les principales critiques rencontrées sur l’article, et nous allons voir si elles sont pertinentes.
NB. Il n’y a pas là-dedans de jugement de valeur ; certaines de ces critiques ont certainement été prononcées en toute bonne foi, d’autres non, mais le but n’est pas de juger ceux qui les ont émises.
« Les oiseaux volent, ils ne sont pas restés dans le champ bio ou dans le champ conventionnel »
C’est certainement la critique la plus couramment observée. Alors oui, en effet on peut se dire que puisqu’ils volent, les oiseaux pourraient aller chercher leur nourriture très loin, d’autant plus que certains sont migrateurs, donc capable de se déplacer sur de très longues distances. Sauf qu’en période de reproduction, les passereaux ne vont pas bien loin de leur nids. Dans l’étude il est précisé que les espèces étudiées ont un domaine vital de 0.2 à 8 ha. Les auteurs ont déterminé la proportion de cultures bio dans un rayon de 250 m autour de leurs points d’échantillonnage, soit une zone de plus de 19 ha, largement supérieure au domaine vital des différents oiseaux étudiés.
« Les oiseaux ne reconnaissent pas le champ bio du conventionnel »
À aucun moment l’article ne dit que les oiseaux ont choisi le champ ou reconnu que le champ était en bio (mais on peut se poser la question, les oiseaux pourraient repérer des sites avec une plus grande densité de proies). L’idée est plutôt que, en fonction de là où ils se sont installés, les oiseaux ont été exposés à des pratiques agricoles différentes qui affectent leur comportement.
« Il y a d’autres facteurs non pris en compte (haies, prédation, âge des oiseaux) qui pourraient être responsables de l’effet observé »
Beaucoup se sont inquiétés de la possibilité que les résultats de l’étude soient dus à des facteurs confondants. Ce ne serait pas le mode d’agriculture (bio ou conventionnel) mais une autre différence, due au hasard, qui causerait les effets observés. Par exemple, il pourrait y avoir eu plus de haies sur le site bio, ou le comportement des oiseaux d’un des deux sites aurait pu être influencé par un prédateur passé juste avant l’échantillonnage.
Cette critique aurait été tout à fait pertinente si les auteurs avaient fait seulement un échantillonnage sur une haie « bio » et un échantillonnage sur une haie « conventionnelle ». Cependant les auteurs ont suivi 20 sites différents : 10 haies conventionnelles et 10 haies bio. Cela évite que des spécificités du site viennent fausser le résultat et permet de vérifier s’il y a des différences entre les sites, par exemple en terme de quantité de haies. Dans l’article, les auteurs ont vérifié la longueur, la hauteur, l’épaisseur et la densité des haies sans mettre en évidence de différence entre les sites bio et les sites conventionnels, à l’exception de la surface cultivée en bio (voir la Table 1 de l’article). À noter que des études ont mis en évidence que la surface de zones semi naturelles est plus importante dans les fermes bio que dans les conventionnelles3, mais ce n’est pas le cas pour les sites sélectionnés ici (qui ont du être sélectionnés pour que la seule différence entre eux soit la proportion d’agriculture bio autour du site d’étude).
La présence d’un prédateur avant l’échantillonnage, qui aurait affecté le comportement des oiseaux, a aussi été évoquée dans les critiques. Là encore, la multiplication des mesures rend le résultat robuste vis-à-vis de ce type d’évènements : les 20 sites ont été échantillonnés 3 fois. Un prédateur qui passe une fois sur un des sites n’aura que peu d’effet sur le résultat final. S’il y a plus de prédateurs qui passent sur les différents sites bio, c’est alors que le mode d’agriculture affecte l’abondance des prédateurs. Il y aurait donc bien, même dans ce cas, un effet du type d’agriculture sur le comportement des passereaux.
De même, concernant la remarque sur l’âge des oiseaux, si, sur les 164 oiseaux sur lesquels les mesures ont été réalisées, ceux d’une condition ou de l’autre sont plus âgés, c’est alors qu’il y a un effet du mode d’agriculture sur l’âge des oiseaux que l’on y trouve.
« La mesure de l’agressivité, c’est forcément subjectif »
Les termes utilisés pour décrire les résultats, en indiquant « des oiseaux plus vifs », « plus de vitalité » ou encore « des oiseaux plus agressifs » peut laisser à penser à une évaluation subjective (« ils ont l’air plus vifs ceux-là ! »). Certains commentateurs se sont inquiétés que ces mesures qu’ils imaginaient subjectives puissent avoir été influencées par les a priori des expérimentateurs.
Sauf pour décrire le comportement des oiseaux, les auteurs ne se sont pas basés sur une appréciation subjective, sur un ressenti. Ils ont utilisé des paramètres quantifiables tels que le nombre de coups de bec, de cris de détresse ou de tentatives de fuite sur un temps donné. Cette méthode permet d’avoir des mesures du comportement qui sont tout autant répétables et pas plus soumise à un biais de mesure de la part des auteurs que n’importe quelle autre mesure physiologique.
Dans l’article, il n’est pas précisé si toutes les mesures comportementales ont été réalisées par la même personne, mais tout les mesures morphologiques ont été réalisées par le même expérimentateur afin de limiter les variations de temps de manipulation des oiseaux, ce qui aurait pu influencer le dernier test de comportement. Le biais d’expérimentateur est bien connu dans la recherche en écologie. En règle générale et dans la mesure du possible, les même mesures sont faites par les mêmes personnes. Toutefois, il peut arriver que cela ne soit tout simplement pas possible. Dans ce cas, on évite alors qu’une même personne fasse toutes les mesures pour une condition expérimentale et une autre personne pour l’autre condition, en répartissant à chaque expérimentateur autant de mesure pour chaque condition. De cette façon, la variabilité dépendante de l’expérimentateur va uniquement augmenter la variabilité au sein de chaque groupe, sans augmenter la différence entre les deux groupe. Cela va tellement de soi que ce n’est jamais précisé dans la section méthodologie des articles, mais il n’y a pas de doute que cette approche ait été utilisée dans cette étude également.
« Affirmation trop extraordinaire/attendons que d’autres études le confirment »
Il n’y a rien d’extraordinaire à affirmer que l’agriculture conventionnelle a un impact négatif sur les oiseaux comparativement à l’agriculture bio. Ce n’est pas la première étude à le dire. De nombreuses études ont montré une diversité et une richesse spécifique réduite chez les oiseaux des champs conventionnels et un consensus se dégage en faveur du bio4.
De la même façon, les effets sub-létaux de très faibles doses de pesticides sur le comportement d’espèces non ciblées par ces pesticides sont largement connus5.
Ce qu’apporte réellement cette étude, c’est la mise en évidence, dans des conditions réelles avec des niveaux d’exposition aux pesticides a priori faibles, des mécanismes par lesquels les oiseaux sont affectés, avec la mise en évidence de ce qui est très probablement d’importants effets sub-létaux sur le comportement du cocktail de pesticides auxquels les oiseaux se nourrissant dans les champs non bio sont exposés6.
« 164 oiseaux, c’est trop peu »
Cette remarque, qui peut passer pour une marque de prudence scientifique, démontre en fait une assez grande méconnaissance des méthodes statistiques utilisées en biologie. En effet, pour tout paramètre que l’on va mesurer sur du vivant, on a une certaine variabilité que l’on ne peut pas contrôler. Les tests statistiques sont utilisés pour déterminer la probabilité p que la différence observée soit due au hasard d’échantillonnage dans une population avec une certaine variabilité pour le paramètre mesuré. Ces tests statistiques prennent déjà en compte le nombre d’échantillons.
Dans l’étude en question, les résultats de ces tests sont présentés. On peut voir par exemple que pour le nombre de tentatives de fuite du filet, on a l’indication p<0.0001, soit 0.01% de chance que la différence observée soit due au hasard.
Pour la plupart des études de ce type, on considère en général que si la différence que l’on observe a moins de 5% de chance d’être due au hasard, la différence est significative, et ceci quel que soit le nombre d’échantillons. Ici, le test statistique donne une valeur de p très en deçà (de 500 fois !) de ce seuil arbitraire usuel de 5%; on n’a donc vraiment pas problème de manque de données pour pouvoir conclure.
Quand on prévoit une étude, augmenter le nombre d’échantillons permet surtout de s’assurer que l’on ne va pas passer à coté d’un effet réel parce que le faible nombre d’échantillon ne nous permet pas d’établir que la différence est statistiquement significative. Plus on augmente le nombre d’échantillons, plus on va être capable de déterminer qu’une différence faible est due à un effet réel du facteur étudié. En revanche, quand une différence est significative, elle l’est même si le nombre d’échantillons est faible.
« Pesticides aussi en bio »
S’il est vrai que certains pesticides sont autorisés en bio, ceux-ci sont en général bien moins toxiques que ceux utilisés en agriculture conventionnelle7.
D’autre part, l’utilisation de pesticides en bio se fait surtout pour la viticulture, l’arboriculture et le maraichage, et très peu pour les grandes cultures. Sur les cultures concernées par l’étude (blé, triticale, féverole ou fève, orge, maïs, colza, tournesol, luzerne), aucun pesticide ou presque n’est utilisé en général. Les auteurs précisent que les agriculteurs bio de la zone d’étude n’utilisent aucun pesticide, ce qui est cohérent avec le type de cultures, quand les conventionnels en utilisent en moyenne 5 à 10 dans leurs cultures et procèdent à 4 à 8 applications par an.
« Pas de dosage de pesticide dans le sang »
L’étude s’est aussi vu reprocher de ne pas avoir quantifié les pesticides dans le sang des passereaux. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que les prises de sang sont assez traumatisantes pour les oiseaux8. Dans l’étude, les auteurs se sont attachés à limiter le stress induit chez les passereaux étudiés, notamment en limitant le temps de manipulation. Faire des prélèvements de sang sur un très grand nombre d’oiseaux alors qu’on ne sait pas encore si on va observer un effet au niveau du comportement semble assez logique.
Les dosages de pesticides représentent aussi un coût important, mais au delà le cet aspect comptable, la question de leur faisabilité se pose aussi. En effet, d’un point de vue technique, doser les pesticides dans le sang de passereaux n’a rien d’évident. Les prélèvements de sang doivent se limiter à 1 % maximum du poids de l’oiseau (à titre d’exemple, une mésange charbonnière pèse entre 12 g et 22 g). Le volume ainsi recueilli peut être suffisant pour doser certaine substances pour lesquelles on est capable d’une très grande précision ou pour lesquels on a des raisons de suspecter une très forte exposition9. En revanche, le volume pouvant être collecté pourrait être insuffisant pour mettre en évidence une contamination par un nombre important de composés (ce qui peut nécessiter l’emploi de systèmes analytiques différents, et donc de diviser l’échantillon en plusieurs sous-échantillons) ou si l’on recherche des composés présents à faible concentration, ce qui est suspecté dans l’étude qui nous intéresse aujourd’hui.
Dans tous les cas, les auteurs concluent sur un effet du mode d’agriculture dans l’environnement immédiat de l’oiseau, pas sur un lien avec le taux de pesticides dans le sang. L’absence de ces données ne retire donc rien à la qualité de l’article.
On peut par ailleurs se demander si de telles données, en supposant qu’elles aient pu être obtenues, auraient apporté des informations pertinentes. L’effet des pesticides pourrait en effet perdurer après leur élimination par l’organisme, si par exemple ils laissent des séquelles neurologique. Pour cette raison, doser les pesticides à un moment donné renseigne peu sur l’effet à moyen terme d’une exposition aigüe ou chronique.
« De toute façon ils sont malhonnêtes »
Ce que nous avons vu pour l’instant, ce sont de nombreuses attaques sur cet article dont la plupart sont facilement rejetées si on prend la peine de lire l’article. Mais l’accusation de malhonnêteté des chercheurs sans critique de fond solide ressemble plus à un bon indicateur de la malhonnêteté intellectuelle de ceux qui émettent ces critiques. Comme évoqué précédemment, ce n’est pas le premier article à montrer les effets négatifs des pesticides sur les oiseaux sauvages. Les auteurs des autres articles sont-ils tous malhonnêtes ?
« Ce n’est pas l’article scientifique qui pose problème, mais la façon dont il est repris dans les média »
Une dernière critique ne vise plus l’article scientifique lui-même, mais la façon dont il aurait été repris par Reporterre10, l’un des rares média à relayer cette étude. Mais cet article déforme-t-il les résultats de l’étude ?
Dans son titre, l’article affirme que les oiseaux des champs bio se portent mieux que ceux des champs « pesticidés ». Cela correspond bien aux conclusion de l’étude, et si le terme « pesticidés » a fait réagir certaines personnes, il s’agit bien d’une des principales différences entre les conditions testées et correspondant très probablement à la principale explication des différences de comportement observées. Ce qui est dit ensuite dans l’article de Reporterre au sujet de l’étude correspond en tout point à ce qui est décrit dans l’article scientifique. Les propos de deux des auteurs de l’étude sont aussi rapportés, mais eux non plus ne vont pas plus loin que les conclusions de l’article, sauf pour indiquer les études supplémentaires qu’ils comptent mener. Donc non, on n’assiste pas là à une déformation des faits de la part de médias militants.
D’autres médias11 ont simplement repris le communiqué de presse publié sur le site de l’Université de Bourgogne à laquelle est affilié l’un des auteurs de l’étude12. Là encore, difficile de voir là-dedans une déformation de la part de médias militants.
En guise de conclusion…
Avoir un regard critique sur les articles scientifiques et leurs reprises dans les médias est bien entendu essentiel. Mais il ne faudrait pas non plus oublier d’avoir un regard critique sur les critiques elles-mêmes, qu’elles soient virulentes ou plus nuancées en apparence.
La plupart des critiques exprimées contre cette étude étaient ridicules, consternantes, et ne résistaient pas à une rapide lecture de l’article. Pour quelques autres, il fallait quelques notions sur l’écologie des oiseaux ou la méthodes scientifiques utilisées en écologie pour comprendre la critique et comprendre en quoi elle était fallacieuse. Il est intéressant (quoique, disons-le franchement, assez attendu) de constater qu’aucun signataire de la tribune « NoFakeScience » (en théorie « pour un traitement rigoureux de l’information scientifique »), n’ait pris la défense des auteurs de l’étude face à ces violentes attaques.