Comparaison des systèmes agricoles : une réponse aux représentations simplistes

« Bon Pote » a publié récemment sur son blog un article1 présentant des diagrammes sur l’agriculture réalisés par «Stéphane, de la chaîne Terre à Terre» (@terreterre13, abrégé « TT » dans la suite de ce texte). Ces diagrammes avaient pour objectif de comparer simplement les différents systèmes agricoles. Résumer simplement un sujet complexe comme l’agriculture n’est pas chose facile, mais cela ne justifie pas de faire une représentation complètement fausse de ce que sont les différents modèles agricoles et leurs impacts sur l’environnement. S’il est bien précisé dans l’article d’origine « les diagrammes présentés ont comme unique ambition d’informer le grand public sur la nature et les implications de différents types de systèmes agricoles. La réalité agricole étant bien trop complexe pour être schématisée de la sorte », ce qui motive cette réponse c’est le sentiment que ces infographies désinforment bien plus qu’elles n’informent.

Le présent texte est une réponse à la représentation de l’agriculture proposée par TT, et a pour ambition de proposer une critique constructive favorisant la réflexion sur les nécessaires transitions de l’agriculture.

Oubli de la biodiversité

Le premier problème, et certainement le plus important, est l’absence de prise en compte de la biodiversité. Ce problème a déjà été souligné à l’auteur lorsqu’il a publié sur twitter la première version de ses diagrammes2, mais aucun ajout n’a été fait depuis. L’auteur justifie cette absence par le fait que le sujet serait déjà en partie traité dans la partie sur le sol, et l’aspect « impact sur la biodiversité » n’aurait pas été évident à traiter3. Qu’en est-il vraiment ?

Déjà, on pourrait nous dire que le sujet de la biodiversité n’est pas un sujet important, et que l’auteur peut choisir ce dont il veut parler. Donc le sujet de la biodiversité dans le milieu agricole est-il important ? Oui évidemment ! Rappelons simplement que les scientifiques parlent d’un effondrement de la biodiversité, d’une 6e crise d’extinction dans laquelle on rentre à toute vitesse4. Il faut aussi, et surtout, savoir que cette biodiversité nous est très bénéfique par les services qu’elle nous rend, notamment pour la pollinisation des cultures, pour le contrôle biologique naturel des ravageurs et pour le maintien de la fertilité des sols5. Donc ne pas parler de biodiversité lorsque l’on parle d’agriculture et que l’on souhaite comparer les modèles agricoles est un problème.

L’auteur des diagrammes indique que la biodiversité est déjà traitée au travers de la question de la préservation des sols. Mais la biodiversité ne se limite pas à la vie du sol ! C’est négliger les insectes volants, les oiseaux des milieux agricoles, les chauves-souris, la faune et la flore des milieux aquatiques. Or, si certains facteurs peuvent affecter, de la même façon le sol et la biodiversité en général, ce n’est pas le cas de tous : l’effet d’un travail intensif du sol est surtout visible sur la vie du sol, quand celui des pesticides va fortement impacter les insectes volants, notamment pollinisateurs, les oiseaux, mais aussi les milieux aquatiques. Donc, non, l’impact sur la biodiversité n’est pas traité dans la partie « sols ».

L’effet des pratiques agricoles sur la biodiversité serait peut-être trop complexe à traiter, on ne disposerait pas de données suffisantes ? C’est en tout cas ce que suggère l’auteur des diagrammes6. Pourtant, non, la littérature scientifique est extrêmement claire sur le sujet : une agriculture moins intensive, et notamment l’agriculture biologique est très bénéfique pour la biodiversité7], L’impact négatif de certaines pratiques, notamment l’utilisation de pesticides, est clairement connu8.

Il est donc très difficile de comprendre pourquoi la biodiversité a ainsi été « oubliée » alors qu’elle n’aurait pas été plus complexe à prendre en compte que les autres sujets abordés.

La préservation des sols

Dans le premier diagramme (voir ci-dessous), l’auteur compare les différents systèmes agricoles en fonction de deux paramètres : l’intensité du travail du sol et l’utilisation de pesticides.

Tout d’abord, l’auteur fait une distinction entre une agriculture conventionnelle « avec excès » et une agriculture « raisonnée » en indiquant (sans que nous ayons pu trouver la source de cette affirmation) que cela représente la majorité de l’agriculture conventionnelle. Cela semble très peu crédible étant donné que l’utilisation de pesticides a augmenté depuis 20089, ce qui ne correspond pas vraiment à un passage à des pratiques plus raisonnées. Les pratiques étaient-elles déjà raisonnées en 2008 ? Si c’est le cas, ce « raisonné » est très loin d’être raisonnable, il ne suffit pas à enrayer le déclin de la biodiversité en zone agricole qui continue encore aujourd’hui10. Si, pour certaines pratiques, l’agriculture conventionnelle est aujourd’hui plus raisonnée qu’elle n’a pu l’être, c’est principalement dû à des évolutions réglementaires11.

Sur l’axe « épandages » (comprendre : de pesticides) l’agriculture biologique occupe une grande place entre « aucun pesticide utilisé » et « épandage de la quantité juste nécessaire ». L’auteur justifie cela par le fait que la quantité de pesticides naturels utilisée ne serait pas limitée (ce qui est faux) et que pour certaines productions comme la viticulture12, ces pesticides pourraient être utilisés en grande quantité. Cette approche consistant à montrer l’ensemble des possibles, l’ensemble de ce qui est autorisé, serait défendable si elle était appliquée de la même façon pour tous les systèmes comparés. Mais ce n’est pas le cas. En effet, sur l’axe pesticides, l’ACS est représentée commençant à « épandage de la quantité juste nécessaire » au même niveau que le bio. Pourtant, rien dans l’ACS n’interdit le recours à des excès de pesticides 13. Si la même règle avait été appliquée à l’ensemble des systèmes, l’ACS aurait dû commencer au même niveau que l’agriculture conventionnelle « avec excès ». Au-delà du fait de ne pas appliquer la même règle pour tous les systèmes considérés, représenter les systèmes par des zones homogènes n’est pas pertinent. Quelle est la répartition des systèmes au sein de ces zones ?

Sur l’axe « travail du sol », il y aurait plusieurs remarques, mais concentrons-nous sur la principale : une production agricole sans aucun travail du sol, et sans utilisation de pesticides, existe en dehors de la permaculture, et s’appelle des prairies permanentes. Alors, oui, l’auteur précise qu’il ne considère pas l’élevage dans son analyse, mais c’est d’une absurdité monstrueuse de mettre dans un même sac viticulture, grande cultures, maraîchage mais d’exclure les prairies. Par exemple, du maïs ensilage sera pris en compte dans ces représentations, mais une prairie de fauche ne le sera pas. Pourtant, les différents systèmes de culture présentés vont aussi influencer le choix de faire plutôt de la prairie ou plutôt des cultures fourragères. Concrètement, en bio, il sera plus simple de faire de la prairie, en ACS on pourra faire du maïs sur des terrains non labourables qui sans ces techniques seraient en prairie : quelle est la meilleure solution pour le sol ? De la même façon, dans les systèmes de culture bio, il va souvent y avoir des prairies temporaires incluses dans les rotations. C’est on ne peut plus bénéfique pour le sol, mais encore une fois, ce n’est pas pris en compte.

Sur les diagonales, l’auteur indique l’état supposé de conservation des sols. D’après ces indications, L’ACS assurerait toujours une conservation du sol « bonne » ou « très bonne ». Ces limites ne sont pas expliquées et semblent correspondre uniquement à la théorie personnelle de l’auteur.

Et si on confrontait la théorie de l’auteur sur l’état des sols à des données réelles ?

Pour cela, on peut par exemple se baser sur les données issues du site expérimental de La Cage, qui fait l’objet de plusieurs publications14. Sur ce site, sont comparés différents systèmes de cultures dont conventionnel, bio et ACS. Le but de l’expérimentation étant la recherche de solutions permettant de réduire l’utilisation de pesticides, le système ACS mis en place utilise très peu de pesticides, mais ce n’est pas forcément représentatif de ce qui se fait en ACS. Ce système devrait donc se placer dans la partie la plus à droite de la zone ‘ACS’ du diagramme. D’un autre côté, les parcelles expérimentales gérées en bio subissent un labour tous les ans. Ce qui n’est pas représentatif de ce qui se fait en bio15. Elles ne reçoivent aucun pesticide. Dans le diagramme ce site se retrouverait dans le coin en bas à droite. D’après le diagramme de l’auteur, la parcelle bio serait donc à la limite entre « préservation convenable » et « bonne » et celle en ACS complètement en « très bonne préservation du sol ». Mais l’état biologique de ces sols a été étudié16 : si l’effet positif de l’ACS et du bio était bien marqué, il n’était pas possible de distinguer clairement ces deux systèmes. Ainsi, dans ce cas le diagramme réalisé par TT ne correspond pas aux conclusions établies par les travaux de recherche.

Ce n’est, bien sûr, qu’un exemple isolé qu’il faut bien se garder de trop généraliser. Mais cela a au moins l’intérêt de mettre en lumière le fait que cet exercice simple de confrontation de la théorie aux données n’a pas été réalisé par TT.

Peu d’études comparent directement agriculture bio et ACS, mais de plus nombreuses études comparent conventionnel et ACS (ou seulement non labour) ou conventionnel et bio. La figure 1 présente une comparaison de l’effet du bio et du non travail du sol sur la base des données d’une méta-analyse sur le sujet17 et compare ces données à ce qu’avance TT. On constate clairement qu’il y a une divergence entre l’opinion non étayée de TT dans son article et ces résultats scientifiques.

Fig 1. Comparaison des réponses d’indicateurs de qualité du sol à l’agriculture bio (vert) et au non travail du sol (rouge). Données issues de Bai et al. (2018) et du diagramme 1 de @terreterre13.

Émissions de gaz à effet de serre (GES) et risques liés à l’azote

Ces deux questions méritent d’être traitées ensemble. En effet, les émissions de GES agricoles sont fortement liées à la fertilisation azotée (pour la synthèse industrielle des engrais et, surtout, par l’émission de N2O). Sur cela, plusieurs remarques importantes méritent d’être faites.

Tout d’abord, on peut faire le même exercice que précédemment et comparer les indications de ces diagrammes aux données scientifiques. Des données de flux d’azote et de GES déterminés sur le site expérimental de La Cage, présenté précédemment sont disponibles dans un récent article18. Là encore, on peut voir que les diagrammes de TT ne correspondent pas à ce qui est réellement mesuré, puisque le système en agriculture biologique a un meilleur bilan carbone que les systèmes ACS et conventionnels, même lorsque l’on rapporte par unité de production : c’est le seul système à capter du carbone plus qu’il n’en émet. D’autres études arrivent aux mêmes conclusions : globalement, en grandes cultures, l’agriculture bio n’émet pas plus de de GES par unité de produit que le conventionnel19. L’effet bénéfique du non labour (favorisant le stockage de carbone dans le sol) en ACS hors agriculture biologique est en majeur partie compensé par des émissions de N2O plus importantes20.

Concernant la fertilisation azotée, rappelons que l’azote peut être apporté de trois façons : sous forme d’engrais de synthèse, via la fixation d’azote atmosphérique par les légumineuses et par des engrais organiques (fumiers, lisiers… dans ce cas, l’azote provient à l’origine d’une des deux autres sources). Quelle que soit la source d’azote, il peut y avoir un risque de lixiviation, même lorsqu’il s’agit d’un couvert de légumineuses.

Ce n’est donc pas la quantité d’azote apportée par les engrais que TT aurait dû prendre en compte dans son diagramme 4 (voir figure ci-dessous), mais bien la fertilisation azotée totale en prenant en compte les engrais et les légumineuses.

L’apport d’azote sous forme organique (y compris par des légumineuses) permet une libération plus progressive d’azote sous forme soluble,  les intrants devant être dégradés et minéralisés par l’activité biologique du sol. Cela limite la lixiviation mais peut aussi l’augmenter en cas de mauvaise synchronisation de la minéralisation avec les besoins de la culture. Cependant, les pertes de nitrate sont en général bien plus faibles en agriculture biologique qu’en conventionnel21.

Le diagramme 4 de TT (voir figure ci-dessus) indique que l’agriculture biologique serait moins performante que l’ACS par rapport au risque nitrate. Mais TT néglige le fait que la fertilisation azotée est généralement bien plus faible en agriculture biologique22 (ce qui explique en grande partie le rendement plus faible qu’en conventionnel). La quantité d’azote épandue est limitée en bio et cette quantité maximale est rarement atteinte23. En effet, fertiliser en agriculture biologique coûte très cher du fait de l’interdiction d’utiliser des engrais de synthèse et certaines sources d’engrais organiques24. Il n’y a pas de telles restrictions en ACS.

D’après TT, la diffusion de l’azote est très ralentie en ACS grâce à l’absence de travail du sol. Pourtant, comme vu précédemment, l’ACS n’est pas plus performante que le bio en termes de préservation du sol.

La représentation de l’agriculture proposée par TT, ne correspond donc à aucune réalité, elle ne simplifie pas, au contraire, elle désinforme involontairement.

Comment comparer sérieusement les systèmes agricoles ?

Simplifier pour produire une représentation compréhensible de tous et sans désinformer n’est pas quelque chose de facile. Nous ne nous plierons pas ici à cet exercice périlleux. Pour ceux qui s’y risqueraient, il y a quelques éléments essentiels à prendre en compte :

  • Il faut se baser sur des données réelles et pas seulement sur des normes.
    • Si l’on reprend l’exemple de l’agriculture biologique, le cahier des charges n’impose pas (ou peu ?) de mesures agro-écologiques, mais le manque de moyens de lutte curative contre des ravageurs incite très fortement les agriculteurs bio à préserver au maximum la biodiversité. Ils peuvent ainsi bénéficier d’un contrôle biologique naturel.
    • De la même façon, en raison des contraintes fortes imposées en agriculture biologique sur les apports d’engrais, la préservation de la fertilité du sol est d’autant plus importante pour eux. De tels effets induits ne sont pas pris en compte en regardant seulement les cahiers des charges.
  • Si l’objectif est de réfléchir à des choix de modèles agricoles, alors il faut prendre en compte non seulement les performances actuelles mais aussi les performances potentielles. Sur ce point, on peut recommander la lecture de l’article de P. Baret « Diversité de modèles agricoles : une comparaison est-elle possible ? »25 qui complétera bien le présent texte.

Pour finir, on va certainement nous reprocher de faire un éloge de l’agriculture biologique. L’agriculture bio est-elle le modèle idéal ? Non. Mais il ne faut pas se tromper, aujourd’hui un de ses problèmes les plus saillants, c’est le coût de production plus élevé et sa dépendance à une main d’œuvre abondante. Dans tous les cas, si l’on veut une agriculture qui n’ait pas pour seul objectif la rentabilité à court terme, mais qui intègre la préservation de l’environnement, il faudra payer pour. Cela reste un problème, tout le monde ne pouvant pas se permettre de dépenser plus pour se nourrir. La question des relations agriculture-environnement, tout comme celle de “nourrir le monde” ne se joue donc pas seulement sur le plan agronomique mais aussi sur les plans économiques et sociaux26.

Le lymphome non hodgkinien est-il un cancer rare ?

Avec une incidence de 41 pour 100 000, le cancer non hodgkinien est en France un cancer relativement fréquent chez les hommes comme chez les femmes.


On lit souvent sur les réseaux sociaux et parfois dans la presse que le lymphome non hodgkinien (LNH) est un cancer rare, voire très rare. C’est l’occasion d’une petite mise au point à partir des données des registres du cancer du réseau Francim compilées par les Hospices Civils de Lyon, Santé publique France et l’Institut National du Cancer.

Un cancer « extrêmement rare »

On trouve sur Twitter un nombre conséquent de tweets qui s’appuient sur l’affirmation que le LNH est un cancer rare pour mener leur raisonnement.

Petit florilège :

Quelques tweets qui laissent penser que le lymphome non hodgkinien est rare ou rarissime.

A la décharge de ces twittos, l’idée que le LNH est un cancer rare ou très rare est tellement commune qu’elle touche aussi ceux qui voudraient alerter sur les produits qui la favorisent, réduisant considérablement l’intérêt même de l’alerte.

Ainsi Le Monde affirme qu’il s’agit d’une « forme rare de cancer du sang » dès le premier paragraphe d’un article rendant compte d’une méta-analyse sur l’association glyphosate / LNH :

« C’est le dernier épisode en date du feuilleton scientifique sur le glyphosate. Selon une nouvelle étude publiée la semaine dernière, le risque de développer un lymphome non hodgkinien (LNH), une forme rare de cancer du sang, est accru de 41 % pour les travailleurs les plus exposés. Inventé par Monsanto, l’herbicide vendu sous le nom commercial de Roundup est aujourd’hui le plus utilisé au monde. »

Le Monde : Glyphosate : une étude montre une nette augmentation du risque de lymphome

L’Opinion, dans un article qui assimile les études scientifiques sur les risques du glyphosate à un combat politique ou idéologique et omet de signaler les risques pour la santé des agriculteurs, force le trait et qualifie cette fois le lymphome non hodgkinien de « rarissime » :

Les cohortes d’agriculteurs étudiés par la Mutualité sociale agricole (Agrican sur 180 000 personnes) et AHS (50 000 agriculteurs sur vingt ans, aux Etats-Unis) ne montrent pas de risques accrus de cancers chez ceux qui sont pourtant exposés au glyphosate au premier rang, sauf sur une forme rarissime de lymphome.

L’Opinion : Glyphosate: radiographie d’une intoxication collective

28 000 nouveaux cas en France en 2018

En réalité, le LNH est en France le 4ème cancer par nombre de cas pour les femmes comme pour les hommes1 2. Pour les femmes, seuls les cancers du sein, du côlon et du poumon sont plus fréquents que le LNH. Pour les hommes, seuls les cancers de la prostate, du poumon et du côlon précèdent le LNH.


Nombre de cas de cancers estimés en 2018 à partir des registres du cancer, en France, classé par nombre de cas. Les intervalles de confiance sont disponibles dans la référence 1.
* Les cas de cancer de la prostate sont ceux de 2015.

Le lymphome non hodgkinien se situe donc, malheureusement, dans le quarté de tête des cancers incidents en France dans la population générale. A noter que l’impact du tabac sur le cancer du poumon est tel que pour une population qui n’a jamais fumé3, le LNH devient le cancer n°3.

Loin d’une forme « rare » ou « rarissime » de cancer, le LNH et ses 27 647 cas estimés en France en 2018 fait donc partie des cancers communs, avec une incidence nettement supérieure à celle, par exemple, du mélanome de la peau ou du cancer du col de l’utérus. Pour les femmes notamment son incidence est proche de celle du cancer du poumon, avec respectivement 12 109 et 15 132 cas estimés.

De plus son incidence est en progression. Corrigée du vieillissement de la population, elle connaît en effet une augmentation de 33% entre 1990 et 2018. Certains y verront un espoir : la possibilité de retourner à l’incidence beaucoup plus faible des années pré-1990, sous réserve bien sûr d’identifier les causes de la croissance de ce cancer du sang puis de légiférer en conséquence.

Évolution du TSM (taux d’incidence normalisé monde) du LNH entre 1990 et 2018 (ref. 1, p. 159). Le TSM représente l’incidence qu’aurait la maladie en France si la distribution des âges en France était semblable à la distribution des âges dans le monde.

Sources de confusion

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’existence de l’idée selon laquelle le LNH serait un cancer rare. D’abord l’incidence de cette maladie est rapportée sur internet d’une façon incomplète et inconsistante. Googlez « lymphome non hodgkinien incidence France » et vous trouverez un festival de chiffres, tous différents.

Cancer-environnement.fr rapporte une incidence de 13 pour 100 000 sans préciser sa nature – s’agit-il d’incidence brute ou standardisée ? On apprend aussi plus loin dans ce document que ce résultat date de plus de dix ans (2008), bien dommage pour une maladie en évolution rapide. L’association France Lymphomes Espoir présente les mêmes statistiques de 2008 sur sa page d’accueil, même si d’autres chiffres plus récents apparaissent plus profondément dans l’arborescence de ce site.

Toujours en résultat de cette même requête Google, un document de l’Inserm fait état de 12 000 nouveaux cas par an en 2011 et d’une incidence standardisée mondiale de 12,1. Plus loin, e-cancer.fr cite bien la dernière estimation disponible, celle de 2018, mais le nombre de nouveaux cas cité, « un peu moins de 22 000 », ne correspond pas au rapport détaillé issue du réseau Francim (environ 28 000 cas). Enfin ligue-cancer.net indique des statistiques de 2011 qui distingue myélomes multiples et LNH alors que la synthèse Santé publique France / HCL / INCa / Francim déjà citée les regroupe sous l’étiquette LNH, conformément à la classification utilisée dans les études d’épidémiologie.

Et la liste pourrait continuer. Admettons donc qu’il est difficile de s’y retrouver dans cette abondance de chiffres qui regroupent différentes maladies évaluées pour différentes années.

Un standard qui minore

Taux brut ou taux standardisé ? Taux standardisé Europe ou Monde ? Une autre source de confusion possible est la multiplicité des taux d’incidences. Le plus commun est sans doute le taux standardisé, qui prend en compte la structure en âge de la population à des fins de comparaison dans le temps ou entre populations. Ainsi le taux standardisé Monde (TSM) du LNH représente l’incidence qu’aurait la maladie en France si la distribution des âges en France était semblable à la distribution des âges dans le monde. Très utilisé par les épidémiologistes pour détecter tendances et différences, le TSM, en rabotant le haut de la pyramide des âges française pour s’aligner sur la population mondiale, déprécie considérablement l’importance des maladies qui surviennent aux âges élevés. C’est justement le cas du LNH, dont l’âge médian de survenue est d’environ 65 ans.

De fait, le taux à utiliser pour avoir une idée juste du nombre de personnes malades chaque année en France ou pour estimer le risque pour que nous ou nos parents soient atteints par un LNH n’est pas le taux standardisé mais le taux brut.

Celui-ci est très simple à calculer puisqu’il suffit de rapporter le nombre de cas à la population. Pour le LNH, nombre de cas / population =
27 647 / 66 990 000, soit une incidence brute du LNH d’environ 41 sur 100 000, très supérieure aux TSM mentionnés plus haut (25,5 homme; 16,1 femme).

LNH versus LNH

Enfin, même si tous les LNH ont en commun d’être des cancers du système immunitaire, la catégorie « LNH » utilisée dans les études épidémiologiques regroupe des pathologies qui peuvent être dans d’autres contextes décomptées séparément. Ainsi les myélomes multiples, environ 20% des LNH, sont souvent étudiés indépendamment des lymphomes. Difficile donc de s’y retrouver dans ces différents « LNH » : peut-être que les tweets qui mentionnent des incidences quatre fois trop faibles (10 ou 12 / 100 000 au lieu de 41) s’y sont perdu ?

Peut-être, mais si aucune de ces possibilités de confusion ne s’applique, et puisque ces tweets font référence à une des études sur le lien entre exposition professionnelle au glyphosate et cancers 4 5 6 qui toutes s’appuient sur la définition épidémiologique du LNH7, il faudra chercher ailleurs l’intérêt qu’il peut y avoir à minimiser la cancérogénicité du glyphosate.